Politiser le bien-être — Camille Teste
/Politiser le bien-être – Camille Teste
Lecture critique : du bien-être marchand à une écologie du soin émancipatrice
1. Introduction : le bien-être comme fait social total
Camille Teste propose dans Politiser le bien-être une lecture critique d’un secteur économique en pleine expansion – estimé à 7000 milliards de dollars à l’échelle mondiale et à 133 milliards en France. Ce marché englobe des pratiques très diverses : activités psychocorporelles, nutrition, médecines alternatives, soins esthétiques, services de bien-être en entreprise, méditation, pleine conscience, ou encore thérapies psychédéliques (ayahuasca, microdosage, etc.).
L’autrice aborde ce champ non comme un ensemble de pratiques anodines, mais comme un symptôme politique de nos sociétés néolibérales : le bien-être y devient un produit marchand, un outil de normalisation sociale et un indicateur moral.
2. Le tournant néolibéral du bien-être : individualisation et marchandisation
L’émergence du marché du bien-être est située dans les années 1980, période marquée par le triomphe du néolibéralisme et la déconstruction des politiques publiques d’après-guerre. Le social, l’émotionnel et le spirituel deviennent des champs exploitables économiquement :
-> tout devient marchandise, y compris les besoins affectifs, les émotions et la quête de sens.
Le bien-être contemporain incarne une individualisation du bonheur : chacun devient responsable de son épanouissement, détaché des conditions matérielles d’existence et des inégalités structurelles. Ce déplacement du collectif vers l’individuel est renforcé par la psychologie positive (Martin Seligman, 1998), qui réduit le bonheur à un état d’esprit mesurable, plutôt qu’à un rapport social.
3. La “biomorale” : quand la santé devient critère moral
Camille Teste mobilise le concept de biomorale proposé par la philosophe Alenka Zupančič (2018) : dans les sociétés contemporaines, la valeur morale d’un individu se confond avec son état de bien-être.
-> Être heureux = être une bonne personne.
-> Être malheureux = être défaillant, fautif, “toxique”.
Cette idéologie morale du bien-être produit une injonction à devenir “la meilleure version de soi-même” par des efforts individuels, occultant le rôle des déterminants sociaux dans la santé mentale (classe, genre, race, précarité).
4. Du New Age à la dépolitisation des affects
Le New Age se présente comme une alternative au monde “froid et rationnel” de la modernité, mais reproduit souvent les logiques du marché. Camille Teste souligne la porosité entre spiritualité marchande, pensée complotiste et conservatisme culturel.
Sous couvert de “libération individuelle”, ces milieux valorisent la concurrence, la réussite personnelle et la croyance que tout mal-être est le produit d’un désalignement intérieur, non d’une oppression sociale.
-> Évitement spirituel : expliquer un problème matériel par une cause spirituelle abstraite (“Si je ne gère pas ma colère, c’est parce que je suis Bélier”).
Cette posture neutralise toute possibilité de résistance politique : l’énergie de transformation est réorientée vers le perfectionnement de soi, non vers le changement collectif.
5. Les angles morts des milieux militants : vulnérabilité et épuisement
À l’inverse, les milieux militants prennent en compte les effets des structures sociales sur les individus, mais négligent la question du bien-être.
-> Résultat : épuisement, burn-out militant, effritement des collectifs.
Teste propose de réconcilier action politique et soin, en créant des espaces de vulnérabilité partagée où le “prendre soin” devient une pratique politique.
Une société juste serait, selon elle, “une société où chacun·e est à la fois destinataire et pourvoyeur de soin”.
6. Le bien-être comme champ de résistance
Le secteur du bien-être, dans sa forme actuelle, reproduit les violences qu’il prétend apaiser :
-> violences de classe, racisme, sexisme, validisme, LGBTIQ+-phobies.
Camille Teste appelle à “hacker le bien-être” : détourner ses pratiques, ses discours et ses espaces pour en faire des outils d’émancipation.
Politiser le bien-être, c’est :
refuser la logique normative et performative du “mieux-être” ;
reconnaître les déterminants sociaux du mal-être ;
redéfinir le soin comme une relation et non comme un produit.
Les praticien·nes du bien-être sont invité·es à se politiser, à contextualiser leur pratique, à considérer la trajectoire sociale et les conditions de vie des personnes accompagnées. Cela suppose également une vigilance éthique face à l’appropriation culturelle des pratiques spirituelles ou corporelles.
7. Vers une écologie du soin : lenteur, sobriété, incarnation
Camille Teste plaide pour une écologie politique du corps fondée sur la lenteur, la sobriété et l’autonomie sensorielle.
-> Résister au rythme imposé par le capitalisme,
-> Habiter son corps autrement, non pour l’esthétique mais pour la fonctionnalité, la force et la joie d’usage.
Ce rapport émancipé au corps permet d’habiter différemment l’espace, de rompre avec les normes esthétiques et productivistes, et d’explorer des formes de présence au monde fondées sur le respect du vivant.
La spiritualité, enfin, peut être réhabilitée comme un “sens du sacré vis-à-vis de ce qui nous importe” – non pas comme fuite de la réalité matérielle, mais comme revalorisation du lien, du collectif et du sensible.
Conclusion : pour un bien-être émancipateur
Politiser le bien-être, c’est faire du soin un outil de résistance plutôt qu’un instrument de conformité.
Camille Teste esquisse une alternative où les pratiques de bien-être s’alignent sur un projet de société fondé sur la justice et l’émancipation collective.
Le soin, délié du marché, redevient un commun politique :
une manière de reprendre prise sur nos corps, nos rythmes et nos relations,
et d’opposer au bien-être normatif une écologie du vivant, inclusive et subversive.
note 2
/10 questions sur le communisme – Julien Chuzeville
Lecture problématisée : histoire, tensions et actualités d’un projet d’émancipation collective
1. Origines : de l’égalité juridique à l’égalité réelle
Julien Chuzeville rappelle que le communisme naît d’une volonté d’égalité concrète, non pas seulement en droit mais dans les conditions de vie.
Dès la Révolution française, Gracchus Babeuf (1760–1797) fonde la critique du libéralisme politique : “L’égalité doit être réelle et non pas seulement apparente.” (Manifeste des Égaux, 1796).
Le terme “communisme”, utilisé pour la première fois par Nicolas Edme Restif de La Bretonne (1797), désigne la “communauté générale du genre humain”.
Au XIXe siècle, la notion s’enracine dans le mouvement ouvrier :
-> rejet du patronat et du commerce,
-> promotion de la propriété collective des moyens de production,
-> idéal d’une société sans frontières, ni argent, ni domesticité (Étienne Cabet, 1840).
En 1848, Marx et Engels rédigent le Manifeste du parti communiste pour la Ligue des communistes : le capitalisme y est décrit comme un système de classes antagonistes, opposant le prolétariat à la bourgeoisie, et dont la fin suppose la lutte collective.
L’appel final — “Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !” — consacre le caractère internationaliste du projet.
2. L’URSS : capitalisme d’État et trahison du communisme
Chuzeville distingue radicalement le communisme comme idéal émancipateur du régime soviétique : l’URSS n’était pas communiste mais “capitaliste d’État”.
Créée en 1922, l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques n’était ni une union libre, ni une république démocratique, ni un système socialiste fondé sur les soviets. Dès la mort de Lénine (1924), la prise de pouvoir de Staline instaure une bureaucratie autoritaire :
-> répression, grèves interdites, goulags, famines,
-> écart salarial massif, direction bourgeoise des usines,
-> impérialisme et pacte avec Hitler (1939).
Ce système concentre la propriété dans les mains de l’État, devenu propriétaire collectif fictif. Pour Chuzeville, le stalinisme constitue une négation du communisme, car il rétablit des rapports de domination et d’inégalités que ce dernier visait précisément à abolir.
Il cite Maximilien Rubel : “Si l’arbre est responsable de ses fruits, voudrions-nous qu’il réponde aussi de ses parasites ?”
3. Féminisme et communisme : une alliance inachevée
Le communisme a, dès ses origines, intégré une réflexion sur l’émancipation des femmes.
-> J.J. Navel (1842) : égalité parfaite entre les sexes.
-> Marx (1845) : “Le degré d’émancipation de la femme est la mesure naturelle de l’émancipation générale.”
-> Engels (1884) : “Dans la famille, l’homme est le bourgeois, la femme le prolétaire.”
Des figures comme Clara Zetkin ou Louise Bodin lient la libération des femmes à la lutte des classes. Zetkin organise en 1910 la Journée internationale des femmes sur le modèle du 1er mai.
Cependant, l’histoire du communisme montre une invisibilisation progressive des militantes : marginalisées dans les partis, elles créent des structures autonomes dans les années 1970 (MLF, MLAC).
Le féminisme matérialiste (Delphy, Guillaumin, etc.) prolonge la grille marxiste : le patriarcat, comme le capitalisme, repose sur des rapports d’exploitation.
Toutefois, le mouvement communiste reste traversé par des contradictions :
-> certains y voient une priorité,
-> d’autres estiment que cette question divise la classe ouvrière.
Chuzeville conclut : le communisme n’a pas encore réalisé pleinement son potentiel féministe.
4. Communisme et anarchisme : une dialectique de la liberté et de l’égalité
L’opposition entre communisme et anarchisme ne porte pas sur la fin (une société sans domination) mais sur les moyens : le rôle de l’État.
Pour les anarchistes, toute forme d’État reproduit la hiérarchie et la coercition.
Kropotkine résume : “L’anarchie mène au communisme et le communisme à l’anarchie.”
Des penseurs comme Carlo Cafiero (1880) appellent à l’union des deux idéaux : “Nous voulons la liberté, c’est-à-dire l’anarchie, et l’égalité, c’est-à-dire le communisme.”
L’anarcho-communisme revendique la démocratie directe, la révocabilité des mandats et l’autogestion.
Chuzeville insiste : il existe autant de points de convergence que de divergences, et de nombreuses hybridations (marxisme libertaire, communisme conseilliste).
5. Communisme et écologie : compatibilité ou contradiction ?
Dès le XIXe siècle, Marx dénonce les effets destructeurs du capitalisme sur la nature :
-> rupture du “métabolisme” entre l’humain et la terre,
-> épuisement simultané du sol et du travailleur,
-> responsabilité envers les générations futures. (Le Capital, 1867).
Les mouvements ouvriers du XIXe siècle s’alarment déjà des pollutions industrielles.
Cependant, les régimes se réclamant du communisme (URSS, Chine maoïste) ont adopté un modèle productiviste catastrophique.
À partir des années 1970, une nouvelle génération de penseurs (André Gorz, Anton Pannekoek, Élisée Reclus) réunit écologie et anticapitalisme.
-> “Une société communiste ne peut être qu’écologique.” (Gorz, 1972)
-> “L’écologie sans la lutte des classes, c’est du jardinage.” (Chico Mendes, 1988)
Le communisme écologique propose de refonder la qualité de vie :
réduction du temps de travail et des trajets,
rénovation thermique, lutte contre la pollution sonore,
agriculture collective, permaculture,
partage équitable des ressources.
Ainsi, l’écologie devient une extension concrète de la lutte des classes, liant transformation sociale et préservation du vivant.
6. Propriété, production et émancipation
Dans une société communiste, la propriété privée est abolie, mais la propriété personnelle subsiste.
-> propriété privée = ce qui sert à la production et prive les autres d’un usage collectif,
-> propriété personnelle = ce qui répond à un usage individuel.
L’objectif est de garantir à chacun·e le droit au logement, à la sécurité matérielle et à l’usage partagé des biens communs.
L’abolition de la propriété privée ne signifie donc pas l’uniformisation, mais la socialisation des ressources productives.
7. Lire Marx : entre théorie et praxis
Le communisme précède Marx, mais Marx en a fourni la structure théorique la plus cohérente.
Trois formes se distinguent :
le communisme spontané (né de la révolte morale),
le communisme théorique (issu de la critique marxiste du capitalisme),
le communisme organisationnel (partis, syndicats, souvent dévoyés).
Le communisme n’est pas une doctrine figée mais un mouvement critique permanent, enraciné dans la praxis – la transformation consciente des conditions matérielles de vie.
8. Les divergences internes : scissions et recompositions
Depuis le XIXe siècle, le mouvement communiste se fragmente selon des contextes nationaux et stratégiques :
-> guerre d’Espagne, divergences autour de l’URSS,
-> alliances électorales controversées (France, années 1930).
Ces scissions traduisent une tension structurelle entre unité idéologique et pluralité des pratiques révolutionnaires.
9. Le communisme aujourd’hui : héritage ou horizon ?
Chuzeville refuse l’idée d’un communisme révolu. S’il a perdu son hégémonie politique, il demeure une utopie régulatrice, un horizon critique.
En 2021, la maire de Santiago du Chili, Irací Hassler, élue communiste, incarne une résurgence du projet dans un cadre démocratique.
Le communisme contemporain se déploie sur trois plans :
gauche de gestion (réformiste),
gauche de protestation (radicale),
gauche de révolution (rupture systémique).
En France, NPA, LO et PCF en représentent des déclinaisons, souvent sans revendiquer explicitement le mot “communisme”.
10. Le communisme comme projet d’avenir
Le communisme n’est pas la nostalgie d’un passé, mais la projection d’une société autogérée, solidaire et écologiquement soutenable :
-> suppression du salariat contraint et du chômage,
-> partage des tâches ingrates,
-> planification démocratique et coopérative,
-> priorité à la santé, à la sécurité, à l’environnement,
-> abolition des discriminations et des replis identitaires.
C’est une utopie active : elle ne décrit pas un modèle figé, mais un processus de co-création collective du futur.
Comme l’écrivait Eugène Varlin, communard :
“Tant que l’homme pourra mourir de faim à la porte d’un palais où tout regorge, il n’y aura rien de stable dans les institutions humaines.”
note 3
/Perspectives low-tech, comment vivre, faire et s’organiser autrement ? Quentin Mateus, Gauthier Rousilhe
Constat : société capitaliste = crises environnementales, régression des droits humains, autoritarisme, crise sanitaire. Nécessité d’opérer des transformations sociales et écologiques pour permettre des modes de vie dignes et pérennes. Pour cela = remise en question des structures de pouvoir actuelles. Le progrès technologique est vu comme une solution. Pour d’autres personnes, il faut changer notre société pour changer le rapport à la technique car celui actuel n’est pas viable = LOW TECH.
Quels types de techniques seraient pertinents pour une société juste et soutenable ?
France = rapport à la technique traditionnel (neutralité, expertise, séparation avec la sphère sociale, dépolitisation, liens forts entre industrie et état. Mais aussi vitalité ++, questionnements des besoins et dépendances technologiques). Tensions internes et ambiguïtés. Actuellement, la culture technique se transmet à un nombre restreint d’acteurices : propriété intellectuelle, brevet, labo privé, etc. Ces contraintes structurent notre rapport au savoir technique. Nous devons collectivement nous réapproprier les questionnements quant aux choses techniques et repolisiter ce rapport à la technique.
Comprendre la low tech.
Le terme low tech est né dans les années 80 pour qualifier les entreprises qui produisent du papier, du tabac, de l’alimentation, du bois et qui sont donc technologiquement stabilisées (+ de développement possible).
Ingénieur : métier prestigieux depuis les années 1900 en France, très bon enseignement, carrière brillante. Les ingénieurs français comprennent tôt que la low-tech est peut-être le chemin à suivre. Les initiatives low-tech sont souvent soutenues par les organismes publics (régions, agences nationales, etc.) Donc mouvement low-tech spécifique à la France.
Low tech : remise en question du caractère nécessairement positif & désirable du progrès technique + le caractère relatif de la low tech (dépend du contexte et du moment de l’histoire, un objet low tech aujourd’hui a sûrement été high tech à un moment donné). Il s’agit de rouvrir le champs des possibles techniques : voir tous les usages qui ont précédé la manière de faire aujourd’hui pour répondre à un besoin donné. Ce n’est pas une posture anti-technologique mais techno-critique.
Généalogie d’idées : technologie conviviale (Yvan Illich), techniques démocratiques de Lewis Mumford, technologies appropriées Ernst Friedrich Schulacher, techniques libératrices de Murray Bookchin, Corentin de Chatelperron, Philippe Bihouix..
Il existe différentes low tech : une low tech vernaculaire et une low tech internationaliste et institutionnalisée avec une expertise technique.
Définition de la low tech selon Philippe Bihouix = ensemble de principes visant à diminuer notre prélèvement de ressources, à remettre en cause nos besoins et à réorienter nos modes de production vers + de durabilité en équilibrant performance et convivialité.
1972, Ivan Illich = Outils convivial polyvalent pouvant être détourné de sa fonction première, permettant l’expression et la créativité de celui qui l’utilise. Société conviviale = société où l’homme contrôle l’outil et ou celui-ci n’est pas à l’origine de + d’inégalité.
Low tech lab, mission = donner à chacun l’envie et les moyens de vivre mieux et en harmonie son écosystème. Diffuser librement les techniques.
Carlos Mendoza, sociologue, concept de “buen vivir”= pensée révolutionnaire qui critique les visions classiques du développement en refusant l’idée que nous supprimerons la pauvreté par une croissance économique infinie.
A checker : Revue Techniques et cultures - Low tech ? wild tech (cartographie alternative) - Coopérative SCOP éclowtech - Atelier du soleil et du vent - Fond de dotation Agir Low tech - Fabrique écologique.
Démarche low tech : pourquoi produit-on ? Que produit-on ? Comment produit-on ?
Aujourd’hui nous sommes dans une technocratie qui se dit apolitique, basée sur l’idée que la science est neutre & désintéressée. Or, l’utopie technocratique est née avec le capitalisme industriel et le libéralisme économique par la suite. Donc aujourd'hui ce que l'on définit comme la tech sont les techno-sciences c'est-à-dire des expériences dans des univers contrôlées comme des laboratoires qui produisent des connaissances techniques qui produisent de meilleurs appareils techniques. La high-tech ce sont des technologies développées dans les années 50 aux USA, en Russie en Europe de l'Ouest, Asie de l'Ouest et la low tech c'est “le reste”, c'est donc une la technique = matière + objet + source d'énergie ou geste + chez mamantal + représentation c'est la définition de l'aumônier. Des techniques naissent et meurent dans des communautés humaines en fonction de leurs besoins et de leurvision ethnocentrique.
Technique et psychologie sont très liées car les outils et les pratiques usuelles émergent des communautés humaines. Technologie = sous groupe des techniques = objet outils pratiques basées sur les sciences modernes. On a coutume de dire que technique = moins d'humain. Or, ce n'est pas l'outil et son utilisation en eux-mêmes qui est problématique mais les conditions d'utilisation. Exemple, l'aliénation des ouvriers à leur machine n'est pas due aux machines en elles-mêmes mais au fait que l'on dissimule son fonctionnement à l'ouvrier. Il y a une séparation voulue entre l'ouvrier et le savoir technique de la machine sur laquelle il opère. C'est un enjeu de lutte de classe.
Device paradigm = distinguer les objets de leurs pratiques.
Technique : matière + objet + source d'énergie ou gestes + schéma mental + représentation (définition de Lemmonier). Des techniques naissent et meurent dans des communautés humaines en fonction de leurs besoins et de leur milieu. Exemple : dans les années 1900, à New York, 30% des taxis étaient électriques. Dans les années 30, grande croissance économique, compétition entre les entreprises. Développement technologique. Idée développée par Joseph Schumpeter. Destruction créatice : les générations d’entreprises se succèdent rapidement selon le rythme du développement technologique.
Progrès technique ≠ progrès social ≠ amélioration des conditions de vie matérielles. Progrès technique = aussi colonialisme, d'extractivisme, échanges inégaux, paupérisation, destruction sociale et environnementale. N’assure pas, par défaut, la démocratie.
Penser les techniques = comment les rapports de classe et de domination s'inscrivent dans des objets et des infrastructures qui modèlent le collectif et l'individuel.
technosolutionnisme = idée que les systèmes techniques futurs résoudront les problèmes causés par les systèmes techniques actuels. Permet de ne pas modifier les structures sociales, politiques, culturelles et économiques actuelles. On ne traite pas frontalement les problèmes sociaux.
Low tech = il faut être vigilant car la low tech contient des germes de solutionnisme =ment. Ne pas détacher la low tech du social et du culturel. Actuellement, on est dans un modèle hybride = high tech + low tech.
La peur de la low tech peut-être comprise comme une peur de revenir dans le passé. Or le passé n'est pas forcément égal à la pauvreté technique. Il s'agit de comprendre quels sont nos besoins réels, essentiels, de base, fondamentaux. Maslow ce n'est pas lui qui crée une représentation pyramidale car il considérait que l'ordre des besoins (autre que de base) varie selon la culture, le contexte, la psychologie de l'individu. Donc pour lui besoin régal réel = besoin universel qui précède la culture et dont nous avons tous la même expression. C'est remis en question aujourd'hui car on se rend compte qu'il y a un arbitrage conscient de nos besoins. Il y a l'ajustement à des conditions de vie située. Exemple : un besoin est de respirer mais on habite parfois dans un endroit pollué qui ne nous permet pas d'être optimal dans la réponse à ce besoin. On va pourtant continuer à vivre où on vit. 1/ La satisfaction d'un besoin n'est pas binaire (oui/ non) 2/ On peut sacrifier la qualité de satisfaction d'un besoin même physiologique pour privilégier d'autres besoins. 3/ La satisfaction d'un besoin peut mettre en péril la réponse à d'autres besoins et la survie même de l'individu à moyen et long terme. 4/ la satisfaction des besoins n'est pas un exercice individuel et dépend de conditions collectives sur lesquelles les individus n'ont pas forcément de poids.
Aujourd'hui, certaines expressions de besoin peuvent être des marques de distinction sociale. Premier à exprimer un besoin et à y répondre = early adopter. Baudrillard.
Manfred Max-Neef, économiste chilien = besoin fondamentaux : subsistance, protection, affection, compréhension, participation, loisirs, création, identité, liberté. Mode de satisfaction : être (qualités), avoir (choses), faire (actions), interagir (paramètres) = matrice. Besoins humains: simultanéité, complémentarités.
Il y a différents types de réponse au besoin au-delà du satisfait/pas satisfait : il y a la réponse destructrice qui empêche la réponse à d'autres besoins, la pseudo-réponse qui soulage sans réellement satisfaire, la réponse inhibitrice, la réponse univoque qui ne répond qu'à un besoin, la réponse synergie qui répond à +ieurs besoins.
Marque d’une société : Quels besoins privilégient-elle et comment y répond-elle ?
Pour choisir à quel besoin répondre et comment y répondre il faut déterminer les contraintes de notre milieu, c'est-à-dire, à quelle matière et à quelle énergie avons-nous accès ? Il faut définir ce qui suffit à l'individu pour s'épanouir en définissant non pas une contrainte minimale mais une contrainte maximale. Nos ressources sont limitées donc il faut pouvoir y répondre de manière limitée c'est une question à résoudre collectivement. Choisir ses contraintes = privilèges.
Les enjeux du mouvement low tech = la puissance publique doit soutenir financièrement le développement de la low-tech et doit réguler le marché pour garantir un égal accès à tous à la technique = justice sociale. Avant, les ingénieurs avaient un autre rôle que celui d'aujourd'hui (pour la majorité = industrie). Ils avait un rôle matériel, social, économique et politique : ils ont favorisé le colportage en recensant et en documentant les techniques utilisées. Le capitalisme peut produire en masse des objets low tech mais peut-il faire advenir une société soutenable ? L'approche low tech s'oppose au superflu, à la complexité énergivore, milite pour l'accessibilité et l'ouverture des savoirs donc ne peut être vendu comme une option de + sur le marché libéral car cela annihile l’enjeu principal.
Il faut ouvrir le champ des possibles socio-économiques car il faut sortir de la compétition, de la rareté et de la propriété. La démarche low tech a pour composant principal l'Open Source et le peer-to-peer car cela menace le modèle économique d'aujourd'hui.
Économie de la communauté : décentralisée, attachée à un lieu, diversifiée, et fondée sur une propriété commune voire communale.
Le cosmofocalisme = la valeur d'une solution technique dépend à quel point elle a été pensée et fabriquée localement.
Passage à l'échelle low tech = développer avant tout une communauté qui prend soin de ses savoirs techniques et pratiques techniques partagées. Nourrir cette culture de la propriété technique collective et locale. Repenser la division du travail.
Autonomie = individuelle : survivalistes: , à l'échelle d'un pays : souveraineté collective !
Émancipation = reconnaissance des formes de domination, maintenir ses formes de domination à distance.
Autonomie d'un collectif = capacité à pourvoir à ses besoins (indépendance matérielle, maîtrise directe sur ces conditions de vie et de travail), capacité à se prendre en charge individuellement et collectivement ≠ déléguer cela à des organismes extérieurs.
Résilience = survivant de l'ouragan Katerina : “Nous ne voulons + jamais être qualifiés de résilients. Nous voulons résister, résister aux choses qui continuent de nous forcer à devenir résilient.” résilience, regard critique = idéologie de l'adaptation sans consentement à une réalité désastreuse. Les institutions imposent la résilience c’est à dire l'adaptation à des chocs de + en + violents au lieu de s'attaquer aux causes.
Les concepts d'autonomie, d'émancipation, de résilience ont une réalité matérielle. Si l'on conteste un système technique (par exemple : l'avion) on remet en cause les libertés qui sont rattachées matériellement (comme voyager ou comme la liberté de circulation.)
Comprendre un système technique c'est comprendre les réalités matérielles qui sont rattachées.
Théorie féministe de l'autonomie : nous sommes foncièrement dépendants les uns des autres et vulnérables par nature. Plutôt que d'imaginer que nous devenons autonomes en nous isolant à l'échelle de l'individu, il s'agit de considérer que ce sont nos relations sociales avec nos parents, nos amis, nos proches qui nous rendent autonomes = l'autonomie relationnelle.
Économiste, Geneviève pruvost = réappropriation massive de nos moyens de subsistance en partant de communautés locales autonomes de coopération plutôt que de compétition.
Perspective révolutionnaire du low tech = veut transformer le système de production actuel. Il y a des valeurs communes au féminisme et à la low tech.
Un exemple d'organisation et de coopération : la carte vitale de l'alimentation. 150 € par mois par personne. On considère que manger bon et bien est un besoin local prioritaire auquel nous voulons une réponse de qualité locale. Nous construisons une réponse collective avec une production repensée et autonome de tout le système privé. Caisse financée et dirigée par les intéressés eux-mêmes.
« la liberté ne se gagne que dans l'établissement d'une relation sociale socialisatrice et durable avec le monde matériel » Pierre Charbonnier.
Répondre collectivement à des besoins individuels est un prolongement intéressant des démarches de compréhension et de réappropriation des systèmes techniques dont on dépend pour les façonner à un contexte, un besoin particulier.
Arbitrer collectivement nos choix techniques. Modèle actuel d'arbitrage collectif en lien avec une solution technique : les Amish qui débattent systématiquement dans un espace prévu pour l'adoption de technologie. Réflexion collective sur ce que seront les conséquences. Par exemple le terminal bancaire chaque « communauté » amish ne fait pas les mêmes choix en fonction de son contexte de vie.
Démocratie technique = les réponses techniques à chaque besoins collectifs sont arbitrée collectivement de façon démocratique.
note 4
/La diagonale de la rage, une histoire de la contestation sociale, des années 70 à nos jours, Michel Kokoreff
Dans les années 80 = point d'orgue de la dépolitisation globale, acceptation du statu quo
Année 90 = regain de créativité critique + émergence de différents mouvements (les soulèvements zapatistes de 94, la grève de 1995, le contre-sommet de Seattle en 99 puis celui de Gênes en 2002, etc.)
Comment faire prendre conscience au + grand nombre que le capitalisme planétaire n'a rien de naturel ni d'inévitable ? Il y a un certain fatalisme…
Recomposition des formes et des pratiques contestataires : on peut parler d’une nouvelle grammaire de la contestation.
Traditionnellement on parle d'insurrection ouvrière, d'occupation des usines, de grèves, de manifestations de masse. Aujourd'hui, on parle d'émeutes qui est un registre d'action à part entière, de lutte déclenchée et se déroulant sur les réseaux sociaux (printemps arabes, occupy wall street…), black block, flash mob, logiques d’occupation, ZAD -> ce sont des mouvements basés sur une quête d'autonomie, en auto-organisation, loin du champ politique quitte à y revenir + tard (Podemos en Espagne).
Recomposition discursive
Rééquipement discursif
Persée critique autour des figures comme Marx, Arendt,etc et d'autres auteurs contemporains comme Laval, Rancière, etc. et de collectifs, de sites d'actualité critiques.
3 strates = force capacité d'écriture collective individuelle anonyme ou pas de manière + flux continu = autre rapport au temps que le temps long académique + horizontalité des collectifs.
Protestation = cadre donné d’avance ≠ contestation = contre qqn ou quelque chose, déborde du cadre.
Reconquises recomposition des jeux d'échelle
jeu de décentrement : on passe de l'urbain en rural comme par exemple avec Notre-Dame-des-Landes mais aussi recentrement : émeutes dans les banlieues de Paris et dans les beaux quartiers.
Continuité inédite des pratiques, des imaginaires dans les différents mouvements.
Délimitation temporelle du livre : réaction collective à vague de crimes racistes des années 70 jusqu'à la séquence 2016-2020.
Robert Park, fondateur de l'école de Chicago parle de la ville comme “d’un laboratoire social”. Les quartiers populaires les banlieues sont des territoires socialement disqualifiés et subissent une nouvelle forme de domination sociale et raciale expérimentée d'abord dans les colonies puis dans les banlieues puis à tout le monde. De nouvelles formes d'action et de mobilisation collective inédite émergent. Rapport de défiance réciproque entre groupes mobilisés et institutions.
1971-1973 assassinat d'Algériens : 50 assassinat et 300 blessés. Jurisprudence du crime sécuritaire. Victime = délinquant, accusé raciste = légitime défense. Condamnations dérisoires ou non-lieux. Contexte : c'est la crise économique, choc pétrolier, chômage de masse. Septembre 1972. Circulaire Marcelin-Fontanet : durcit les conditions d'entrée et de séjour en France. Création de collectifs et d'associations en défense aux travailleurs immigrés. Peu soutenu par les syndicats de gauche qui s'alignent derrière des revendications sociales + larges.
1971 : Groupe d'Informations Prison (GIP) = lieu quotidien du politique, donc informer sur la prison = action politique. L'objectif est de rendre visibles et publiques les conditions d'incarcération et passer la main au prisonnier eux-mêmes. Soutien actif de Michel Foucault. Prison = zone décisive de l'exercice du pouvoir égal = société punitive. Nouvelle figure de l'intellectuel = théorie = pratique. GIP = moment charnière entre 68 et les nouveaux mouvements sociaux, donnera d'autres initiatives qu'on me le GIA, asile gisti, et de soutien des immigrés, AIDES, etc.
Un des principes est de ne pas stigmatiser entre (« nommer c'est normer »), ne pas parler à la place de mais rendre publiquement visible les conditions de vie et les expériences des premiers concernés. Savoir = pouvoir. Contrepouvoir et nouveaux espaces d'engagement.
Années 80 : 76/77 = rébellion et émeute antipolice. Obligation de réserve attendue chez les immigrés (héritée d'une vision colonialiste), ceux qui sortent d'une posture de réserve = délit d'immigration.
11 mai 1980 : manif 10000 personnes marchent contre les lois racistes.
1981 gauche au pouvoir. Les crimes racistes continuent. La droite et l'extrême droite tentent de donner une expression politique au racisme et à la xénophobie. Dans les quartiers, des collectifs et associations se créent pour militer contre les violences policières mais aussi pour exiger les relogements (seconde génération immigration) du soutien scolaire, des vacances pour les enfants
1983 cité des minguettes : affrontement. 400 jeunes se battent contre la police. Puis sit-in : immobilité et silence desarment la police. Force de la non-violence. Grève de la faim. Faire comprendre que la volonté de violence ne vient pas des habitants des quartiers. SOS Avenir Minguette qui regrette le déplacement des policiers à l'origine des affrontements et le harcèlement policier quotidien + que les jeunes de la ZUP soient prioritairement embauchés pour le rénover.
“la domination qui semble sans visage sans principe qui ne peut conduire vers aucun mouvement social provoque un sentiment de rage” François dubet dans La société et ses stratifications
double inspiration Minguette + marche contre le racisme et la violence = mouvement de désobéissance civile et des droits civiques aux États-Unis + action non violente de Gandhi. En parallèle de la marche, des acteurs des quartiers produisent un discours, un récit et des images notamment IM’media qui vise à travailler sur l'image publique de l'immigration. Lyon -> Marseille les marcheurs critiquent les associations antiracistes les organisations d'extrême droite-gauche qui récupèrent et édulcorent les revendications des jeunes (PS, SOS Racisme, Touche pas à mon pote). Clivage récurrent. Les jeunes ne veulent pas l'intégration, fille de l'assimilation, fille de la colonisation mais l'égalité de droit. Or, l'opinion publique + le traitement médiatique croit qu'ils militent pour la reconnaissance de particularisme culturel. Tension dans l'universalisme et particularisme. Marche = marqueur temporel + marqueur générationnel. Revendications = qualifier les violences racistes comme des infractions pénales spécifiques + donner de nouveaux droits aux assos comme se porter partie civile + carte de séjour unique valable 10 ans + droit de vote. SOS racisme et le PS porte d'autres revendications (trahison) : lutte contre l’exclusion sociale, pour l'insertion professionnelle, politique de la ville. Marche = neutralisation du stigmate. Imaginaire social : concept mobilisé par Marx = capacité d'inscrire le présent dans une histoire des luttes tout autant que de la tentative des militants de la galvaniser et de transcender leur action.
Par le biais des comités de solidarité avec les victimes de crimes racistes, les comités Palestine, les grèves de la faim, les sit-in, les marches, toute une génération se politise. Tariq Kwatari
Méthodologie du mouvement de l'intégration et des banlieues (MIB) contre les violences policières : groupe de travail avec amis, familles, avocats, magistrats, contre-enquête, suivi des étapes judiciaires, mise en place de campagnes d'informations et de sensibilisation, courriers aux institutions concernées, communiqué, tribunes libres et interview, présence devant les tribunaux et les prétoires, manifestation des mères des victimes. Longue histoire des émeutes : révolte populaire ouvrière, étudiante, se déclenchent dans les grandes villes durement touchées par la ségrégation raciale et ethnique, désindustrialisation, chômage de masse, terreau politique (syndical ou autonome).
Déclencheur = mort de jeune issu de minorités raciales ou visible sous fond de tension avec la police. Représentation des émeutes = dénuées de toute signification politique, disqualifiée dans son illégitimité, “violence gratuite” or c'est un répertoire d'action collective spécifique en réponse aux violences subies lorsque les autres voient de protestation sont interdites. Les émeutiers n'ont pas d'autres ressources pour se faire entendre de la société. Les émeutes sont localisées dans les quartiers d'habitation des jeunes durant quelques nuits. Media et figures publiques se mettent du côté de la police (légitime défense) Après les émeutes? il y a des marches Bblanches puis des actions judiciaires longues qui aboutissent dans la majorité des cas sur des non-lieu ou des relaxes des policiers inculpés. Halle d’immeuble : territoire qui cristallise la conflictualité entre les jeunes et la police. Le MIB est un exemple d'auto-organisation politique indépendante de tout parti réformiste et des associations qui gravitent autour. Ils interviennent à chaque fois qu'un jeune est tué par la police pour aider les familles. La thèse de la désertification politique des quartiers populaires masque le le foisonnement d'initiatives et de mobilisations politiques. Très difficile d'avoir des élus fidèles au profil sociologique des habitants de quartier car il y a une opposition structurelle . Donc candidatures, entrisme dans les partis, liste autonome aux élections locales. Saïd bouamama, cadre des triple conscience « conscience de la nécessité d'un mouvement de l'ampleur de la tâche à accomplir et de nos divergences sans les sous-estimer ». L'immigration dans les années 60 = maghrébine, années 1980 = immigration africaine subsaharienne.
Sayad = délit d'immigration.
Conclusion : beaucoup d'auto-organisations qui ont chérie leur indépendance pour ne pas être récupérées par les partis de gauche et les assos, constitution d'un « nous ». Ennemi politique = état policier, raciste, post-colonial. Revendication = égalité de droit. Donc pas de dépolitisation des quartiers.
Après 1968 : effervescence collective, militante, transformation des formes protestataires
âge d’or de la protestation : grève des ouvriers immigrés, mouvements féministe pour le droit à l'avortement, émergence de la question homosexuelle, mouvement lycéen et étudiant contre les réformes du gouvernement, mobilisation en faveur du cadre de vie et de l'environnement, soulèvement des prisonniers et des banlieues. Ces luttes ont articulé une critique de la société et des institutions de discipline.
Mitterrand, 1981 = large espoir de changement social et politique puis perte des illusions. Tournant socialo-libéral de 1983 = chômage de masse, mouvement caritatif et humanitaire qui se multiplient, luttes éparses.
Années 80 = contestation moins forte et + fragmentée. Segmentation des mouvements sociaux.
Grande grève de 1995 = reprise politique forte, victoire face à une réforme néolibérale qui s'attaque au modèle social et au service public. Nouveaux collectifs et associations comme act-up, agir contre le chômage, droit au logement… + nouveaux intellectuels marqués par Foucault + nouvelles maisons d'édition de sciences sociales critique comme La dispute, Agone, Raisons d'agir, etc.
Grandes grève contre le plan Juppé : cheminot puis secteur de l'énergie puis les enseignants. Manif d’un million de personnes le 12 décembre. Clivage entre gauche d’accompagnement des réformes comme la CFDT, le PS, etc et la gauche d’opposition comme la CGT le PC et anti-libérale : trotskiste, altermondialiste, écolo. Après +ieurs semaines, Juppé renonce à sa réforme des régimes spéciaux mais pas au reste du plan.
Black Bloc = pas un groupe ou un lieu donné mais une méthode d'intervention née dans les années 90 en Allemagne, issue de la gauche radicale, extraparlementaire, anticapitaliste, antifasciste. A l'origine, les blackblocs montent des cabanes collectives, des cantines collectives, tractent des manuels de conseils judiciaires et de conseils médicaux, mettent en place des techniques d'assaut groupées et des retraits stratégiques face à la militarisation des policiers, ils considèrent que cette défense est légitime. Leurs tactiques est de ralentir la progression des policiers pendant que d'autres taguent les murs en opposition à la technique de la nasse et à la répression policière. Manifs sauvages = puissance d'agir retrouvée.
Nuit debout : rejet des formes classiques d'action militante, occupation de place symbolique, gestion matérielle des lieux et animations de différentes commissions. Utilisation des réseaux sociaux, auto-organisation horizontale, mise en réseau et ancrage local comme déjà mise en œuvre dans les squats, les free-party, les ZAD. Nuit Debout = nouvelle dimension et une nouvelle visibilité. occupé un lieu = beaucoup d'actions politiques internationales ont pris cette forme comme Occupy wall street au cours des années 2006-2020.
Les revendications montent en généralité face aux différents projets de loi : c'est le principe même de sélection qui est rejeté, la politique de casse des secteurs publics, l'autoritarisme et le déni de démocratie.
La ZAD de Notre-Dame-des-Landes est une zone de non-droit et de refuge absolu. Il est difficile d'avoir un regard sociologique dessus car cette génération échappe à la sociologie classique du militant traditionnel. Culture en lien avec l'anarchisme insurrectionnel, le comité invisible et l'anticapitalisme. Les autonomes sont contre toutes formes d'organisation même horizontale. Ils veulent restaurer le lien entre discours, pensées et faire. Singularité des ZAD : offrir en accès libre une gamme très étendue de formes de vie non marchandes et semi marchandes + une cohabitation de groupes divers. Seul point commun à ces profils sociologiques = mobilité pendant la première partie de la vie puis expérience de la vie en communauté.
Gilet Jaune = Mobilisation inattendue de la France invisible pendant + d'un an. Points multi localisés (régions, villes, capitales). Mobilisation protéiforme, hétérogène avec différentes phases hautes et basse intensité, soutien majoritaire des sondages.
Chronologie : il y a quatre phases. 1/ incubation pétition contre la hausse du carburant puis groupe Facebook en mai 2018 2/ phase d'explosion quasi-insurrectionnelle = grandes manifs partout en France, hyper répression par les forces de l'ordre 4/ Phase de reflux difficile à dater = destruction des cabanes des gilet jaune.
Thème des revendications = taxes du carburant qui jouent sur la mobilité spatiale et donc qui vient entraver la mobilité sociale puis montée en généralité des revendications = inégalités des classes sociales, impôt sur la fortune, revendications sur les salaires.
Politisations accélérée des militants des gilet jaune. Pour beaucoup de gilets jaunes, c'est la découverte de la violence de la police et donc de la violence d'État et du fait que la violence policiére est une stratégie délibérée du pouvoir. Militarisation des policiers d'abord en banlieue puis en ZAD et maintenant pour toute manif depuis les gilets jaunes = LBD, flash-ball, brava-m. Blessés + mutilations qui touchent tout le monde et bien souvent des manifestants inexpérimentés.
Travail d'objectivation des violences policières = elles sont recensées publiquement sur Twitter / « ne parlez pas de répression ou de violences policières ces mots sont inacceptables dans un état de droit » Emmanuel Macron.
Répression massive des gilets jaunes permise notamment par les notes transmise au parquet. 10000 gilets jaunes condamnés à la prison ferme. L'IGPN ne traite pas les plaintes contre les policiers. Grave manquement comme des dossiers judiciaires vides, des condamnations abusives, des interdiction de manifester. Des organisations internationales des droits de l'homme sonnent l'alerte. Loi anti-casseurs du 10 avril 2019.
Foucault, justice, gestion différentielle des illégalismes = les outils du pouvoir ne traitent pas tous les actes illégaux de la même manière. Illégalisme = actes illégaux + des formes d'organisation & de tolérance sociale autour de ses actes englobant les relations de pouvoir autour de ce qui est permis au réprimé, par exemple, le vol. Il est toléré ou réprimé ou exploité différemment selon les classes sociales, les groupes sociaux ou les contextes. Gestion différentielle des pouvoirs = ne cherchent pas à supprimer tous les illégalismes mais à les réguler pour maintenir un certain ordre social dans une répression ciblée. Révolte, vols, destruction de bien des classes dominantes + tolérance contre les pratiques économiques grises + instrumentalisation (opposer casseurs et honnêtes travailleurs) ou en faisant accepter des formes accrue de contrôle social comme l'augmentation des dispositifs policiers.
Bourdieu, les deux mains de l'État : fonctions exercées symboliquement par l'État = main gauche = aspect sociaux et protecteurs de l'État / Main droite = aspect coercitif et répressif.
Les formes historiques de la contestation sociale ont toujours été : l’émeute, ,la grève et la manif de rue.
Aujourd’hui, on remarque une extension du domaine des émeutes publiques, avec des grèves aux formes multiples et originales, des occupations de facs, rond-points, ZAD.
Manif : instaurer un rapport de force par le nombre.
Street médics : nés au USA dans les années 60 avec les mouvements pour les droits civiques, puis pratique qui ressurgit en 90 dans le mouvement altermondialiste pour la Palestine, puis pratique qui ressurgit durant le printemps arabe 2016. Ils soignent les victimes de la violence policière, en situation et après. En manif, on commence à défiler en musique dans les années 80, quand on peut enfin enregistrer et rediffuser de la musique. Il y a un aspect festif dans la manifestation. La fanfare invisible joue sur les manifs «pour créer les conditions d'une résistance. joyeuse capable d'épaissir le tissu social»
Une manif est un espace de sociabilité intense surtout lorsqu’elles deviennent régulières comme avec le mouvement des gilets jaunes.Il y a, depuis les évolutions récentes des réseaux sociaux une viralité des images : on peut capturer et retransmettre des images en temps réels.
“Seule la violence aide là où règne la violence”.
Intelligence collective de la manif : contrer les dispositifs policiers, déclarations à la presse, auto-organisation.
TAGS : “La France bout à 49.3” “Une pensée pour les familles des vitrines.” “On veut des thunes en attendant le communisme.” “On ne veut ni le gâteau ni les miettes. On veut autogérer la boulangerie” “f*** 68, fight now” “ZAD partout, grève générale” “40000 grenades en 4 jours, record à battre” “Abhorrer l'optimisme, élaborer l'enthousiasme” “Les barricades barrent la route mais ouvrent la voie” “Fin du moi, début du nous.” “Là, je pense donc je vous suis +.”
Une autre pratique est : occuper. Occuper les places publiques, c'est habiter les luttes. Chaque occupation vient avec ses ambivalences, contradictions, et conflits. Nuit debout a actualisé un ensemble de “savoirs occupés” : commission thématique, etc.
Occupation des facs lors du mouvement étudiant en 2018 : 20 facs concernés.
Praxis, nombre de formations discursives devenuent virales : “Ce qui est pensable à un moment donné”. Relecture féconde de Marx et Foucault. Une réflexion s'est développée sur les communs en réponse à l'appropriation privée de toutes les sphères de la société. Approche croisant sociologie critique et sociologie pragmatique : Bourdieu, Hannet, Boltanski. Cette recomposition discursive s'est organisée en dehors des cercles universitaires et militantes. Revue Tiqqun, Comité invisible, Mauvaise troupe. Des nouveaux acteurs émergent comme Eric Hazan, Frédéric Lordon Houria Bouteldja, Françoise Vergès. Des nouvelles maisons d'édition : La raison d'agir, la fabrique, la dispute, le croquant et cetera. Beaucoup de succès littéraires de livres contestataires. Démultiplication des supports avec un avec avec intérêt = foisonnement d’écrit + émergence de contre scène.
Marx : Chaque classe sociale agit selon ses mythes « l'histoire se répète deux fois: une fois comme une tragédie, une seconde fois comme une farce”, autrement dit, les générations mortes sont encore présentes dans le cerveau des vivants. Cela construit un imaginaire social, c'est-à-dire une identification par la répétition, le désir de réaffiliation historique, la fabrication d'un imaginaire, l'agrégation d'événements historiques devient pour y donner une logique. Foucault et Delheuze remettent en question la vision du pouvoir de Marx. Pour eux, le pouvoir n'est pas une structure fixe comme un appareil d'État, un parti ou une classe sociale. C’est un ensemble de pratiques productrices. Les formes de domination sont multiples et dépassent la lutte des classes. Cela permet une lecture + fine des multiples formes de domination et donc de leur résistance possibles.
Deleuze et Guattari. Micropolitique = processus politique, subtil et quotidien, individuel, émotionnel et relationnel qui traversent les corps, les désirs, les petits groupes. Ces processus reproduisent ou au contraire, contestent les structures de pouvoir.
Macropolitique = dynamique globale et visible des relations de pouvoir: état, loi, frontière, système économique, mouvement sociaux comme le féminisme, et cetera. La macropolitique peut contrôler la micro politique en mouvant les désirs des individus via des normes sociales, par exemple. La micro peut impacter la macro en liant les désirs des individus via des mouvements de désobéissance civile à l’image d’un rhizome.
Foucault: Foucault préconise de ne pas analyser le passé simplement comme une suite d'événements, mais comme un moyen de comprendre les conditions qui façonnent le présent. Nos institutions, normes et idées ne sont pas naturelles « mais le produit de processus historiques contingents (décision, accident, lutte spécifique…)” Cette lecture rend accessible la contestation par exemple. Thèmes auxquels il appliqe cette méthodologie: la prison, l'école, le sexe, la foli.. C'est un concept inspiré de Nietzsche et de sa généalogie.
Foucault, société de souveraineté, société de disciplinaire.
Guatari (psychiatre psychanalyste). Micropolitique du désir: refus de la coupure classique entre les grands ensembles sociaux et les problèmes individuels.« c'est par le cumul des luttes partiel que pourrait se déclencher des luttes politiques de grande envergure» : lutte mai 68, lutte des femmes, lutte des homosexuels, contre la répression psychiatrique..
Conception du fascisme chez Guatari : 1/ le fascisme comme régime politique 2/ le micro fascisme: racisme, xénophobie, militarisme, sexisme..
Guatari parle de la colonisation : “le formatage des subjectivités”.
L’insurrection qui vient - Julien Coupat. Julien Coupat parle du travail comme sens à la vie : « nous appartenons à une fiction qui qui vit très bien sous cette fiction. » . Critique de l'écologie, des mouvements contestataires, des intellos de gauche, des sociologues. Proposition -> « faire commune»: s'affranchir, se regrouper, ne que sur soi-même et mesurer nos forces à la réalité. Figures du radical et du pacifiste qui s'opposent systématiquement. Arendt définissait la politique comme un langage commun entre le particulier et l'universel.
Àgamben, destitution: ne pas se laisser enfermer par les appareils de pouvoir.« Déserter les rapports merdiques à soi et aux autres, au monde, qui s'y expérimentent.» , neutraliser l'institution, s'attacher à la possibilité de la lutte, dans l'expérimentation. Donc: il faut établir des lieux de recherche, de formation et de pensées + vivants et exigeants que la fac, il faut apprendre à régler nous-même nos différences plutôt que de compter sur la justice, réduire à l'impuissance la police, il faut destituer toutes les institutions. Désactiver le pouvoir plutôt que chercher à le conquérir ou à le renverser. Grève générale ou abstention totale comme moyen de retirer sa participation au système lui-même. Une révolution remplace le pouvoir par une autre sous une autre forme. Une destitution des amorce les mécanismes du pouvoir. Usage plutôt que propriété, désobéissance subtile, s'extraire du consumérisme, par exemple. Sortie du pouvoir à tous les niveaux même dans les relations interpersonnelles. “Qu'il s'en aille tous qu'il n'en reste aucun» slogan, 2001, Argentine.
Tarri interroge sur la puissance destituante justement d'une grève, d'un temps, d'un territoire, de l'amour, en opposition avec le pouvoir constituant. Depuis le début des années 2000, vagues de contestation éparses plutôt que révolution ; « état d'insurrection permanente comme forme de résistance». Critique: il faut sortir de cette logique marxiste selon laquelle le capitalisme est son propre fossoyeur et qu'il s'effondrera de lui-même. Frédéric Lordon interprète ce concept de destitution comme un « vivre sans» une impuissance irrésolue, une pensée antipolitique ou impolitique. Avis qui ne fait pas l'unanimité. -
Explosion des réseaux sociaux. Prolifération des sites contestataires. Rappelle l'explosion radio libre/de lutte dans les années 70. Masse militante produit +++ du contenu. Contre scène, hors champ par rapport aux médias. Donc forme de désertion, de destitution quelque part. Il n'existe pas encore de cartographie des sites/des blogs, des radios aux médias indépendants.
À creuser: Foucault - continuum coercitif justice-prison- délinquance. Delheuze - société de contrôle. Guattari - mécanisme de subjectivation. Rancière - La dimension sensible du politique.
Police des réseaux sociaux : d'une part, les autres opérateurs privés et commerciaux par leur charte d'utilisation. Et d'autre part, les services de renseignement de la police des militants et activistes. Internet n'est pas un terrain neutre et affranchi, il est contrôlé et régulé. Numérique: enjeu important pour visibiliser et diffuser des luttes de manière sécurisée, enjeux politiques. Contenu Shadow ban par les plateformes invasibilisant le contenu politique d'extrême gauche. Stratégie: crypto langage (Saemmer): déjouer le fonctionnement des réseaux pour devenir indétectable (exemple : le$bean pour lesbienne)
Cette production de contenu sur internet politique de gauche qui est une critique sociale, joyeuse, directe et cryptée qui offre une autre accroche pour les militants, hors du champ universitaire.
Transformation de notre système: aujourd'hui une société de souveraineté (personnalisation du pouvoir) + société disciplinaire (institution + policiarisation) + société de contrôle (dispositif de communication et de surveillance, régime de poste vérité voir concept Hannah Arendt)
Macron: pratique sécuritaire renforçant la souveraineté de l'État fort.
La société ingouvernable, Grégoire Chamayou. Année 70, États-Unis, il analyse les stratégies de neutralisation proactives de la révolte dans les usines.
Le libéralisme autoritaire est un régime politique qui se rend ingouvernable pour mieux tout gouverner. Margaret Thatcher : « fort avec les faibles, faible avec les forts»
2002, Sarkozy : éruption du langage du management dans le politique: culture du chiffre, concurrence, dédommagement des parties civiles lors de condamnation pour violence contre agents, communication permanente.
François Hollande -> double attentat: état d'urgence, répression de + en + dure des mouvements sociaux, harcèlement policiers.
Manuel Valls: volet sécuritaire ++, aide aux entreprises, allègements fiscaux en leur faveur, renoncement aux mesures phares de leur programme (droit de vote aux immigrés, mesure anti contrôle au faciès, droit au mariage pour touste).
Emmanuel Macron: politique néolibérale axée sur la réduction des dépenses publiques, baisse du PIB, suppression des postes de fonctionnaire, suppression de l'impôt sur la fortune, privatisation des aéroports rails et barrages, contrôle +++ des chômeurs, exetera…
Sarkozy, Hollande et Macron: désactivation des services publics. Le pouvoir ne cesse décrédibiliser et criminaliser les mouvements contestataires. Vanessa Codaccioni dans son livre Répression. Stratégie « du pourrissement»: attendre que le mouvement social s'essouffle tout seul par les effets du temps et du discours dans les médias pour retourner l'opinion publique. Communication: nerf de la guerre du contrôle de la révolte.
Privatisation de la télé à partir de 1985 (sous Mitterrand). Les gilet jaune ont pu constater la manière dont leur combat a été traité médiatiquement. Frédéric Lordon « ils ne mentent pas, il détruisent le langage.» à propos de la novlangue d’Emmanuel Macron.
«Le pouvoir est maudit. Voilà pourquoi je suis anarchiste» Louise michel
« there is no alternative » , années 80, Margaret Thatcher : toute tentative de sortie du capitalisme et décrédibilisée, délégitimée et présentée comme vous et à l'échec. Eric Olin Wright, sociologue : il lit et analyse rigoureusement toutes les alternatives au capitalisme. Il distingue trois modèles de transformation de la société: La transformation par la rupture, la transformation symbiotique, la transformation interstitielle.
Étudier les dispositifs d'autogestion: groupe de manif, par exemple, pour faire l'inventaire des problèmes et des solutions
Aujourd'hui: stratégiques des syndicats de faire confédération autour d'actions interprofessionnelles, pour défendre les derniers acquis sociaux. Et en parallèle, noyaux d'autorganisation et de microluttes exprimant le rejet des modes conventionnels de lutte tel que la grève -> stratégie libertaire. Considérez la rage dans sa dimension politique.
Conclusion:
Diagonale de la rage des années 70 à nos jours, des quartiers pauvres immigrés aux gilets jaunes en zone périurbaine et rurale. Gouvernement, néolibéral et sécuritaire ayant pour stratégie de dénigrer neutraliser criminaliser, les contestations sociales (Sarkozy puis Hollande puis Macron). Les mouvements émergents de contestation sociale se distinguent des du champ politique institutionnel (syndicat, parti, exetera) et sont en quête d'autonomie. Histoire politique des banlieues: invisibilisée. Première mobilisation contre la vague des crimes racistes (non ou peu élucidées), percée du RN, la marche contre le racisme, le MIB, émeute cité des Minguettes.
note 5
/Utopies & utopistes, Thierry Paquot
L’utopie désigne des projets politiques imaginant d’autres formes d’organisation sociale. Paquot insiste sur leur pluralité (formes, fonctions, finalités) et sur la coexistence de trois attitudes caricaturales face à elles : les utopistes (créateurs et expérimentateurs), les responsables (gestionnaires pragmatiques) et les utopistes du pire (contre-utopistes/dystopistes).
L’utopie a une double valence : positive (horizon d’émancipation, justice, générosité) et négative (risque de schémas autoritaires, irréalistes ou totalisants).
Généalogie du terme et usages
Thomas More : invention du genre et du terme. Néologisme gréco-latin formé sur ou-/eu- + topos. D’abord employé dans la correspondance avec Érasme. Première entrée lexicographique attestée en 1611 comme « région imaginaire ».
XVIIIe siècle : redécouverte du mot, connoté perfection et éloignement géographique ; essor d’environ 80 textes utopiques, déclinables en trois formes littéraires majeures : république imaginaire, voyage imaginaire, roman social.
XIXe siècle : ambivalence sémantique. Fourier retourne l’accusation d’« utopisme » : ce qui est naïf est de croire la société présente satisfaisante. L’utopie se lie au socialisme ; Marx et Engels, tout en critiquant l’« utopie » comme méthode (vs socialisme dit scientifique), lisent les utopistes et partagent des visées (harmonie sociale, fin du salariat, transformation de l’État en administration des choses).
Dévaluations et réévaluations : du sens péjoratif (irréalisme) à des défenses du rôle heuristique et moral de l’utopie (Larousse : l’idéal comme moteur du progrès ; Desroche : l’utopie comme résistance à un destin imposé et « avancée existentielle » même en cas d’échec).
Cadres d’analyse et étapes de formation
Roger Mucchielli propose six stades didactiques (de la révolte lucide à la « consécration » d’une cité idéale), utiles pour comprendre le passage de l’indignation à l’architecture d’un monde possible.
Contenus récurrents : héritages judéo-chrétiens (espérance, figure providentielle), motifs de cité radieuse ; mais aussi, au XXe-XXIe siècles, inflexion écologiste et critique du productivisme.
Chronologie rapide des « moments » utopiques
Antiquité tardive et Moyen Âge (IIIe–VIIe s.) : émergence de l’individu (Saint-Augustin, subjectivation) ; premières utopies politiques sur la vertu et l’égalité.
Révolution industrielle et XIXe siècle : salariat de masse, scolarisation, question sociale ; éclosion d’utopies administratives/industrialistes et socialismes utopiques.
Années 2000 : montée des utopies écologistes centrées sur le respect du vivant et la soutenabilité.
Utopies, travail et temporalités
Le travail est une « donnée culturelle », historiquement située, devenue centrale et normative avec l’industrialisation ; l’utopie interroge sa place, sa durée, ses finalités.
Variabilité des régimes temporels : saisonnalité rurale vs hétérogénéité urbaine ; recomposition des rythmes de vie comme ressort utopique.
Études de cas et doctrines emblématiques
Thomas More, Utopia (1516)
Travail commun et limité : deux fois trois heures par jour, sieste et huit heures de sommeil ; loisirs consacrés aux arts et à l’étude.
Métiers jugés nécessaires : agriculture (obligatoire pour tous au cours de la vie), tissage, métallurgie, menuiserie, maçonnerie ; suppression des métiers du luxe et de l’intermédiation financière.
Finalité : suffisance collective, disparition des classes, centralité de l’éducation.
Robert Owen (1771–1858)
Réformisme industriel et coopératif : réduction du temps de travail, interdiction du travail des très jeunes enfants, logements décents, magasins coopératifs, accès à l’éducation.
Vision : collectivisme égalitaire, abolition de la pauvreté par l’organisation coopérative ; limite : paternalisme et verticalité.
Charles Fourier (1772–1837)
Phalanstère et « séries » par attirance : plaisir et travail unifiés ; lutte contre la monotonie du labeur ; architecture pensée pour la circulation (galeries).
Anthropologie optimiste : passions bonnes si convenablement orientées ; critique de la spéculation immobilière.
Dimension de genre : projet explicitement non genré pour l’époque (pas d’obligation conjugale ou maternelle pour les femmes).
Jean-Baptiste André Godin (1817–1888)
Familistère de Guise : transposition pragmatique de Fourier (logements, équipements collectifs, école, mutuelle, retraite).
Appréciation : expérience la + aboutie du socialisme utopique en France, mais jugée paternaliste par Marx et Engels.
Edward Bellamy (1850–1898)
Looking Backward : État-providence intégral, égalité des sexes, « carte de crédit » publique, retraite active ; quatre grands domaines professionnels valorisés à égalité.
Ivan Illich (1926–2002)
Société conviviale : autonomie des sujets, maîtrise des outils, relations désintéressées, respect des écosystèmes ; filiation avec les critiques des méga-systèmes techniques.
Étienne Cabet (1798–1856)
Icarie : collectivisme intégral, « à chacun selon ses besoins », ville idéale planifiée (urbanisme symbolique, hygiénisme) ; la famille comme base de la communauté.
Apports théoriques transversaux
Critères d’évaluation des utopies : justice, égalité réelle, soutenabilité, démocratisation des savoirs et des institutions, place de l’éducation.
Indicateur récurrent d’émancipation : condition des femmes (écho à Marx/Engels : l’émancipation féminine comme mesure de l’émancipation générale).
Débat récurrent : tension entre expérimentation locale (coopératives, communautés) et transformation systémique ; entre idéal régulateur et dispositifs susceptibles de rigidité.
Points de méthode et ressources
Cartographies d’alternatives : par exemple Wunenburger (1998) et répertoires France-Belgique (~1 200 expérimentations).
Rôle de l’éducation : dimension presque constante des cités idéales, comme condition d’adhésion éclairée et de reproduction des normes émancipatrices.
Conclusion synthétique
L’utopie, chez Paquot, n’est ni pure chimère ni simple feuille de route : c’est un opérateur critique qui dénaturalise l’ordre existant, ouvre le champ des possibles et fournit des prototypes (éthiques, politiques, urbanistiques, économiques) à discuter et à tester. Sa fécondité tient à la tension assumée entre imagination normative et contraintes historiques, et se mesure à sa capacité à reconfigurer le travail, le temps, l’éducation et les rapports de genre endirection d’une société + juste et + vivable.
note 6
/Sociologie de la maladie et de la médecine, Philippe Adam & Claudine Herzlich
1) Objet et cadre conceptuel
La sociologie de la santé étudie l’articulation entre organique et social : la maladie est à la fois un état corporel et une position sociale (catégorisation, rôles, institutions).
Normalité / Anormalité : la « bonne santé » s’aligne sur la norme sociale ; être malade peut impliquer une déviance reconnue/légitimée (statut, droits, devoirs).
Définition sociale de la santé/maladie : dépend des attentes et exigences liées aux milieux de vie, aux insertions familiales et professionnelles (Canguilhem).
2) Transformations historiques du régime des maladies
Épidémies pré-modernes : maladies perçues comme fléaux collectifs, marquage visible, réponses religieuses/morales (punition, mise « hors-monde » des contagieux).
XVIIIe–XIXe siècles : essor des infrastructures sanitaires (transport, agriculture, commerce), hygiénisme, baisse de certaines épidémies.
Médecine scientifique :
Anatomoclinique (École de Paris : Pinel, Corvisart, Laennec, Bretonneau) : corrélation lésion/clinique, observation « au lit du malade », percussion/auscultation.
Expérimentale (Claude Bernard) : mécanismes, prédictibilité ; identification des germes, vaccination, antisepsie, anesthésie ; progrès XXe (antibiotiques, imagerie, insuline, vitamines, sulfamides, greffes).
XXe–XXIe siècles : passage à des maladies modernes souvent chroniques et invisibles ; fréquentation régulière des soins, « société médicalisée ».
3) Médicalisation, institutions et pouvoir professionnel
Médicalisation : extension du regard médical à des domaines autrefois religieux, moraux ou juridiques (Conrad & Schneider). Le savoir médical acquiert une fonction normative élargie.
Institution hospitalière : de l’asile des pauvres à l’institution pivot de la recherche, de la naissance et de la fin de vie.
Profession médicale : autonomie, auto-régulation, monopole de compétence, haute légitimité (Freidson). Capacité à nommer et donc à faire exister socialement la maladie (catégorisation, codage).
4) Déterminants sociaux de la santé et inégalités
Inégalités sociales de santé : gradients robustes selon classe, sexe/genre, territoire, statut familial (hygiénisme, Villermé ; travaux contemporains d’épidémiologie sociale).
Exemples : mortalité masculine > féminine malgré risques biologiques féminins ; disparités de taille, dentition, morbidité, fertilité ; sélection sociale et causalité sociale s’entrecroisent (Valin, Wadsworth).
Recours aux soins : classes populaires davantage en curatif (consultations tardives, hospitalisations + fréquentes) ; classes moyennes/supérieures en préventif et spécialistes (meilleure « littératie » et navigation du système).
Implication : corriger uniquement les « comportements à risque » ne réduit pas le gradient (Renault) ; nécessité d’agir sur le contexte social (qualité des liens, conditions de vie).
5) Culture, sens et modèles explicatifs de la maladie
La maladie est signifiante : elle s’inscrit dans des réseaux sémantiques et des modèles explicatifs profanes (Good & DelVecchio Good).
Variations culturelles des symptômes et de leur localisation (Zola) : ex. valorisation cardiaque en Occident vs abdominale au Japon ; psychiatrie somatisée en Chine.
Représentations sociales (Herzlich) : langage commun pour parler de santé (équilibre, maîtrise des pressions, rapport au travail).
Classe et sens de la santé (R. Williams) : classes populaires → santé comme capacité d’agir/travailler ; classes moyennes → santé comme valeur personnelle à organiser.
Critique des métaphores stigmatisantes (Sontag) : la symbolisation des maladies (ex. cancer) ajoute une « double peine ».
6) Rapports médecin–malade : modèles et critiques
Parsons : la maladie comme rôle social (déviance contrôlée) ; attente de coopération du patient ; médecine comme régulateur de l’ordre social.
Limites : focalisation sur l’aigu, sous-estime les maladies chroniques et l’asymétrie de pouvoir située.
Szasz & Hollender : trois modèles interactionnels — activité/passivité ; coopération guidée ; participation mutuelle (adaptés au degré d’urgence/chronique).
Balint : « remède-médecin » (effets de l’écoute, alliance thérapeutique).
Freidson : conflit de perspectives (savoir spécialisé vs monde vécu) ; la réalité sociale de la maladie est co-produite dans la nomination clinique.
Strauss : ordre négocié : positions, attentes et tâches sont continuellement renégociées dans les organisations de soins.
Goffman : hôpital comme institution totale ; maladie et stigmate comme médiateurs de rapports sociaux.
7) Classe, genre, racialisation et traitement différentiel
Hollingshead & Redlich : en psychiatrie, traitements différenciés selon la classe (psychothérapie pour classes moyennes/supérieures ; traitements organiques pour classes populaires).
Mizruchi/Mizraki (littérature proche) : sociabilisation anticipée par les soignant·es ; stéréotypes de « bons » vs « mauvais » patient·es ; biais à l’égard des minorités racisées ; effets sur l’accès et les résultats.
Conclusion : pas « d’universalisme » médical effectif ; la distance sociale médecin-patient pèse sur les issues.
8) Stress, ressources et salutogenèse
Selye : stress comme réponse neuro-endocrinienne à des pressions excessives ; articulation facteurs psycho-sociaux/physiologiques.
Rotter : locus of control (interne vs externe) : effets sur anxiété, HTA, pathologies cardio-vasculaires.
Antonovsky : salutogenèse et sens de cohérence (monde perçu comme compréhensible/gérable/signifiant) comme ressources de santé — socialement distribuées via les trajectoires et les soutiens.
Berkman/Berkman & Syme : soutien social protecteur (ex. post-infarctus).
9) Vivre avec une maladie chronique : expérience et identité
Bury : maladie comme rupture biographique.
Charmaz : perte/érosion d’identité comme souffrance spécifique.
Conrad : stratégies de normalisation (réaménagement des rôles et des sphères de vie).
Ambivalence du statut : la maladie peut être destructrice (désaffiliation) ou libératrice (sortie de rôles contraignants, reconversion du sens de la vie).
10) Implications pour l’action publique et la clinique
La technologie médicale progresse, mais son impact sur les causes premières de mortalité/morbidité reste limité sans politiques sur les déterminants sociaux.
Éviter la culpabilisation comportementale ; investir le lien social, les environnements de vie, la justice organisationnelle des services.
En clinique : reconnaître les modèles profanes du patient, travailler l’alliance, réduire la distance sociale, penser l’équité d’accès et de traitement.
Références repères (citées ou adjacentes)
Canguilhem ; Parsons ; Freidson ; Balint ; Szasz & Hollender ; Hollingshead & Redlich ; Selye ; Rotter ; Antonovsky ; Zola ; Good & DelVecchio Good ; Herzlich ; Goffman ; Strauss ; Conrad ; Bury ; Charmaz ; Sontag.
Épidémiologie sociale (hygiénisme → approches contemporaines).
note 7
/Sororité, guérir des blessures psychiques infligées par la domination, Bell Hooks
Toute ambition de changement personnel doit se doubler d'une mobilisation politique. Mais on ne peut pas se mobiliser politiquement si on n'est pas épanoui ou en voie de l’être. Celles qui sont engagées dans le mouvement féministe, dans la lutte pour la libération noire doivent œuvrer à leur accomplissement individuel. «La révolution commence en soi et avec soi ». Tony. Cade Bambara. -> accomplissement personnel -> pan de notre action politique visant à ressusciter à résister à la suprématie blanche et à l'oppression sexiste.
Politiser les mouvements de guérison «L'acquisition du pouvoir sera le résultat de notre quête, au fur et à mesure que nous nous mettrons au service de nous-mêmes et des autres, au service de notre travail et des autres.» Audre Lorde.
Livre -> sujet: la guérison et les différents moyens de faire disparaître la douleur. Première source de la guérison -> la spiritualité, le fait de s'occuper les uns des autres. Les traditions culturelles noires sont propices à la vie ≠ du patriarcat suprémaciste blanc -> détachée des visions du monde et de pratiques propices à la vie.
Les personnes noires sont meurtries par les forces de la domination. Capitalisme + racisme + sexisme -> condamnent collectivement les noirs à une position d'infériorité et d'exclusion. Meurtrissure psychique. Bien des fictions littéraires Racines noires, Sassafrass, Cypress and indigo, etc. reflètent cette blessure. Belle Hooks recueille des témoignages de mal être + + de ses étudiantes noires: tentative de suicide, TCA, dépression, addiction, solitude, etc. Elle crée un groupe de soutien «les sœurs de l'igname» (référence mangeur de sel) + de 50% des femmes noires vivent dans un état de détresse émotionnelle. (Evelyne white).
Source de guérison -> identifier tous les facteurs qui sont à l'origine d'une douleur particulière. Révéler les multiples façons dont agissent sur notre vie quotidienne le racisme, le sexisme, l'exploitation de classe, l'homophobie est bien d'autres systèmes de domination qui mine notre capacité à déterminer notre propre vie = première étape pour élaborer des stratégies pertinentes de résistance personnelle et collective.
Autoguérison des personnes noires -> expression d'une pratique politique libératrice. Les thérapies traditionnelles et les pratiques en psychanalyse considèrent rarement la “race” comme une question importante -> elle échoue à prendre en compte de façon adéquate, les dilemmes qui affectent la santé mentale des personnes noires.
Mualimu Imara, L’acte de mourir est la dernière étape de la croissance : “On pense rarement à la conversation comme à un engagement, mais ça en était un. Je trouve difficile d'exprimer ce que je sens vraiment et de dire à une autre personne ce qui est important pour moi au moment présent. Il me faut une sorte d'engagement pour y arriver et je crois qu'il en va de même pour à peu près tout le monde. Il est aussi difficile d'écouter. Nous sommes d'ordinaire si plein de nos propres pensées et réactions que nous écoutons rarement quelqu'un d'assez proche pour saisir la saveur réelle de ce qu'il essaie de nous transmettre. C'est la communication créatrice profonde qui nous permet de vivre le sentiment d'appartenir aux autres, limite le potentiel destructeur et favorise le côté constructif de nos vies. La vie est un combat. C'est un combat que d'assumer une vie de changement mais cette vie de changement nous permet de prendre pleinement conscience de nous-mêmes comme personne que dans la mesure où nous sommes, ou nous permettons cet engagement envers autrui qui maintient le dialogue créateur.” Le fait de raconter notre histoire nous permet de nommer notre douleur, notre souffrance et de chercher la guérison.
Scott Peck, apprendre à vivre avec la vie «l'une des racines de la maladie mentale est invariablement un enchevêtrement de mensonges, les nôtres et ceux des autres.»
S'engager à dire la vérité et la première étape de tout processus d'autoguérison. Le mensonge est une norme sociale acceptable, voire requise pour cultiver les rapports de domination. La suprématie blanche s'est toujours appuyée sur une construction trompeuse en perpétuant les stéréotypes dégradants. Dans ce contexte, mentir est une stratégie de protection pour les personnes opprimées, de même que la dissimulation. Or, le mensonge et la dissimulation, bien que légitimes en tant que stratégie de protection, gangrènent aussi les relations interpersonnelles et rendent les gens dysfonctionnels. Déni du ressenti de ce qui est réellement vécu, de la capacité à identifier qui sont, leurs besoins et leurs désirs. Le bien-être mental dépend de la capacité à affronter la réalité. Il ne peut y avoir de guérison silencieuse.
Audre Lorde, Litanie pour la survie, Les yeux dans les yeux. Femme noire, haine et colère. « Ôter nos masques collectivement est un acte de résistance essentiel» Bell Hooks.
Dire la vérité sur sa propre vie, ce n'est pas seulement nommer “les mauvaises choses” et exposer les horreurs, c'est aussi parler avec franchise de nos sentiments et de toutes sortes d'expériences pour les personnes noires. Pour les personnes noires pauvre : apprentissage de l'honnêteté + travail sur la question de la honte. Le fait d'avoir honte de parler de ces conditions de vie de pauvre ne permet pas de lutter pour les améliorer et pour en guérir.
Choix politique de résister quand on nous met en position de garder les secrets des puissants et puissantes. Il est douloureux de faire semblant.
Difficile d'écrire sur le rapport à la vérité des personnes noires car le mensonge et la dissimulation ont été des stratégies de survie légitimes et le sont parfois encore mais ce rapport à la vérité limite aujourd'hui l'auto guérison. Dans les relations interpersonnelles, l'usage de la vérité quand nous sommes en colère et pour blesser l'autre différent de la personne, de la parole vraie libératrice. Et l'honnêteté cache parfois des pratiques abusives ou des intentions malveillantes. S'auto surveiller ! Apartheid racial : les personnes noires n'étaient jamais en sécurité dans ce monde, forme de contrôle de la situation -> standard comportementaux perçu comme des garde-fous adaptés. Or, ils n'ont jamais été abandonnés. Autocritique + auto surveillance permanente pour survivre au regard blanc (se mettre dans la tête de l'oppresseur). Stratégie parentale de critiquer de manière acerbe -> stratégie de survie. Mais les enfants se construisent aussi avec cette voix. Dure et humiliante. Autoguérison -> remplacer cette voix par une voie douce, compatissante, attentionnée et en faire de même pour ceux qui nous entourent.
Rapport au travail, discours circulant des aînés qui ne travaillaient pas au service des blancs “le travail adoucit la vie”. Travail = moyen de subsistance, pas une vocation. Choix limité en tant que femme noire. Charge financière + + +. Importance de faire un travail sur ses angoisses.
Stress = Réaction du corps surchargé par un fardeau trop lourd. Stress -> Sous tend les problèmes de santé majeurs des femmes noires. Ce qu'on pense qui fait tenir bon -> gestion et contrôle. Stress = l'état mental basique de beaucoup de femmes noires. Stress = dû en grande partie par l'interférence des systèmes de domination avec la capacité à s'autodéterterminer. Sensation de n'avoir aucun pouvoir d'action pour les éléments de notre vie. Russel Hochschild, concept de “deuxième journée” = charge mentale des enfants et du foyer. Or, on n'apprend pas en tant que femme noire à poser des barrières protectrices. Maladie du cœur, dépression, ulcère, hypertension, addiction -> Pas de variation statistique entre les femmes noires de classe supérieure et les femmes noires de classe populaire, voire précaire.
Représentation collective de la femme noire comme une abeille ouvrière. Ce rapport malsain au travail vient en partie du fait que les personnes noires doivent lutter contre le stéréotype raciste qu'elles sont paresseuse. Il y a une preuve du contraire à apporter. Pour savoir s'arrêter, il faut connaître sa valeur. Or, dans un système raciste, peu de valeur est accordé au corps et aux esprits des femmes noires. Il faut donc créer un contre-système d'évaluation. Une fois qu'une femme noire s'est réalisée, elle se confronte encore aux relations interpersonnelles teintées souvent de racisme -> facteur de stress + +, limite les opportunités, voire imposent des changements de cadre du travail. Par exemple : gérer le stress financier en s'éduquant-> lister toutes les dépenses sur plusieurs mois. Peur que le fait d'être trop positive soit pris comme de l'irréalisme et d'être moqué.
Comment créer un environnement propice à la guérison ?
1975, Stanton Peele “L'addiction est une expérience - Une expérience qui se développe à partir de la réponse subjective apportée par l'individu de façon systématique à quelque chose qui a pour lui un sens particulier - une réponse qu'il trouve si protectrice et rassurante qu'il ne peut s'en passer. Nous apprenons à prendre des habitudes de dépendance car nous grandissons dans une culture qui nous transmet un sentiment d'inadéquation personnelle, l'impression que nous dépendons de soutien extérieur, et le souci du négatif et du douloureux plutôt que du positif et du joyeux. L'addiction n'est pas une anomalie dans notre société. Ce n'est pas une aberration par rapport à la norme, c'est la norme.” La culture de la domination sappe la capacité de l'individu à agir sur sa vie de façon qui a du sens. Être dans l'incapacité d'agir de façon significative sur sa situation matérielle favorise l'addiction.
Tant de l'esclavage -> rares moments de plaisir -> sous substance. Fonction de s'échapper, d’endormir la douleur, de connaître l'oubli.
Dans la population noire, ce qui est considéré comme de l'alcoolisme est à partir du moment où la personne a un comportement antisocial (blesser d'autres personnes ou endommager des biens). Un des aspects du mythe de la femme noire: déesse, mère, pragmatique, naturellement dotée de la capacité à affronter les épreuves de la vie, sans flancher. Ni physiquement. Ni mentalement. Zéro thérapie. Cet aspect du mythe dissimule addiction et problème de santé mentale. Représentation intériorisée par la communauté noire. Addiction des femmes noires les + représentées : alimentation et achats compulsifs. Alimentation -> la minceur n'est pas valorisée comme une attribution du beau pour la population noire. Sentiment de réconfort et de plénitude.
Image négative de la psychothérapie dans la communauté noire. Séparation du corps et de l'esprit. Donc addiction = seulement physiologique, peut-être ignorée. Donc dilemme psychologique non pris en charge. Les femmes se retrouvent souvent codépendantes des proches qu'elles veulent aider à sortir de l'addiction. Côdépendance = se consacrer entièrement aux soins des autres/care, faible estime de soi, trouve un sens dans le fait de se rendre indispensable aux yeux des autres.
Les groupes de parole en addicto sont souvent très blancs, pas inclusifs et n'incluent pas de réflexion particulière sur la problématique qui est de vivre dans un environnement hostile (racisme). Souffrance de grandir dans un monde où toutes les représentations des femmes noires sont issues d'un imaginaire blanc, supprématiste. Nécessité de se créer des représentations positives. Cheveux crépus -> toujours dénigrés par la suprématie blanche. Beaucoup de femmes noires ont intériorisé cela. Apprendre à aimer le processus de prendre soin des cheveux au naturel. Apporter du soin à son corps et à son apparence = difficile car on apprend aux femmes noires qu'elles doivent se limiter au strict minimum = fonction sinon = vaniteuse. Priorité = care/ les autres.
Valeur d'une femme noire = capacité à servir les autres. Or, autoguérison = se prodiguer du soin à soi.
Tracy Chapman = icône car excellente musicienne et parolière talentueuse mais aussi incarne une nouvelle représentation de la beauté noire -> cheveux non lisses, nez non fin, teint non clair. Représentation négative = paralysante. Education des filles = en tant que mère -> que nos propres comportements à l'égard de nos corps, soit propices à l'affirmation de soi. Que l'enfant ait accès à des livres offrant diverses représentations d'enfants noirs. Avoir un regard critique sur la politique de l'école de sa fille sur les questions raciales. Un environnement blanc est raciste. Identité de l'enfant noir = pas valorisée, au contraire. Être attentive au discours circulant autour de l'enfant sur les femmes noires (surtout par son propre mari ou d'autres hommes). S'inspirer de personnes noires décolonisées qui, dans leur mode de vie, au travail, affichent leur amour de l'identité noire. D'affirmer que son corps est précieux.
Quand Bell Hooks traverse une dépression après sa titularisation, elle va s'installer chez sa sœur. Elles réfléchissent ensemble aux messages qui leur ont été envoyés pendant leur enfance qui pourrait l'empêcher d'accepter la réussite. Et puis, elle a réfléchi plusieurs semaines à deux paragraphes sur la vie qu'elle souhaitait pour dans 10 ans.
Respecter la réalité de la mort: ne pas l'ignorer, ne pas la prendre à la légère. La population noire des USA a longtemps été dans l'incapacité de garder la mort à distance car hôpitaux ségrégués, pas de soins médicaux appropriés pendant l'apartheid raciale. Nombreux rituels et place juste de la mort dans ce groupe social qui a permis de survivre à cette période. Les personnes mourantes unissaient leur famille pour échanger pardons et messages d'adieu. Même après la mort, on peut s'asseoir près du corps et faire ressentir leur présence + amour + respect. Nombre de noirs du Sud ont adhéré à la croyance qu'un être humain possède un corps, une âme et un esprit. Veiller funéraire = continuer de prendre soin de la personne décédée même après la mort. Processus psychanalytique -> rituel qui consiste à interpeller les esprits des ancêtres pour aider un proche en vie -> objectif = comprendre des mystères complexes de la vie quotidienne et créer des moyens d'agir et d'améliorer la santé et le bien-être.
Apprendre à affronter la mort et le fait de mourir d'une façon qui nous permet de restaurer et renouveler notre esprit. Être habitué à la douleur n’est pas savoir comment la gérer pour ne pas nous sentir dépassé ou anesthésié par le chagrin. “Il est vital d'accepter la souffrance, la refuser, c'est s'autodétruire.” La souffrance peut avoir un énorme pouvoir destructeur quand elle est non dite et non acceptée. Ceux dont la douleur rentrée a lentement rongé la vie se dénombre par centaines. Nous devons créer des espaces ou nous pouvons admettre nos douleurs.
L'amour, la médecine, et les miracles Bernie Siegel. « un corps qui sait comment bien mourir sera bien vivre. » .
Serait concilier avec la sexualité et la sensualité. Audre Lorde, femme noire lesbienne -> place de premier plan dans la transformation du rapport à l'érotisme, d'un point de vue politique. Sam Reen “The passionate life”, métaphysique de l'érotisme, conscience de soi + communauté. On devient + pleinement soi-même par l'acte d'aimer.
Saint-Augustin, Platon -> l'amour précède le savoir. Difficile pour les femmes noires de voir l'érotisme comme un lieu de puissance. Créer des espaces de plaisir dans leur vie -> dimension importante du plaisir. “Tant que nous avons un corps, nous pouvons nous retirer dans le sanctuaire des expériences. Les sens sont des oracles personnels. Lorsqu'on les consulte, on découvre un lien sacré qui nous unit à la vie.”
Chez les enfants noirs, ce lien est cassé tôt, leur capacité d'émerveillement et vite remplacée par la peur du danger. Ils doivent apprendre à être fort ≠ de tendresse et affection. Pas de signe d'affection avec les enfants. Capitalisme avancé -> désir de consommation qui prend la place du monde, des sens, lieu de puissance et de possibilités. Sacraliser le corps des femmes noires -> s'opposer aux messages culturels selon lesquels il serait jetable et inutile.
Margo Anand, l'art de l'extase sexuel: «L'amour commence chez soi par l'amour de soi, la capacité d'avoir confiance en soi-même et d'écouter sa voix intérieure, la conduite intuitive de son cœur»
Réserver les sentiments les + forts au domaine de notre vie qui nous procure du plaisir et de la joie.
Monde social de l'esclavage -> aimer = s'exposer à une douleur émotionnelle insupportable. Une esclave qui n'arrivait pas à taire ou réprimer ses émotions risque de ne pas survivre. Refoulement des émotions = stratégie de survie bien après l'abolition de l'esclavage chez les personnes noires. Vu comme une qualité et valorisé. Idée qui circule chez les personnes noires que l'amour nuit au fait de se forger un caractère stoïque et fort. À l'époque de l'esclavage = assurer la survie matérielle de ses enfants = marque d'attention la + importante, celle qui empêche toutes les autres. Bien-être naturel = pratique d'aimer. Difficile de trouver des récits autobiographiques de femmes noires ou des femmes décrivent des relations pleines d'amour avec leur mère.
Nikki Giovani, woman poem. “Les drogues détruisent la capacité d'une personne à faire collectif. L'antithèse de l'addiction est une relation authentique au monde”. Stanton Peele. Repenser nos vies relationnelles de manière à créer du collectif est un moyen de sortir de l'addiction.
Thich Nhat Hanh : « Les communautés de résistance doivent être des lieux où les personnes peuvent se retrouver + aisément, ou le cadre est tel qu'elles peuvent trouver la paix et retrouver la plénitude.»
Les environnements dans lesquels on vit déterminent et influencent notre capacité à trouver la paix. Guérir les blessures intérieures = rend la réconciliation possible. Amertume = poison. Mais parfois on cultive notre amertume car c'est le seul lien qu'on voit possible avec la personne à qui on en veut, ça perpétue notre attachement
Tout au long de l'histoire des USA, les personnes noires ont souffert mais ont continué de pratiquer l'art de la compassion et du pardon. Aujourd'hui, les milieux militants, pardonner et aimer son ennemi = signe de faiblesse. Mlk parle pourtant bien d'un besoin “d’une authentique révolution des valeurs”. Dénoncer l'oppression sans perdre notre capacité d'aimer (MLK). Pour MLK, l'amour = force révolutionnaire.
“Elle ne connaît pas
Sa beauté.
Elle croit son corps brun
Sans splendeur.
Si elle pouvait danser
Nue,
Sous les palmiers,
Et voir son image dans la rivière.
Elle le saurait.
Mais il n'y a pas de palmier
Dans la rue,
et l'eau de vaisselle ne renvoie pas
d'image”.
Waring Luney, années 20.
“On sait quelque part qu’en l'absence de solitude, nos vies sont en danger. On sait quelque part qu’en l'absence de silences, les mots perdent leur signification, qu’en l'absence d'écoute, parler ne guérit plus. On sait quelque part, qu'en l'absence d'espace de solitude, nos actes deviennent vite des actes vains.”
Henri Nowen, Out of solitude.
Auto guérison = résistance politique.
note 8
/Sister outsider, Audre Lorde
Audre Lorde considère la poésie non pas comme une simple production artistique, mais comme un instrument de connaissance, de transformation et de libération = un espace où l’imaginaire devient un outil politique.
L’imaginaire constitue le lieu d’émergence des aspirations au changement : « si nous ne rêvons pas d’autres futurs, nous condamnons le présent ».
La société capitaliste relègue l’émotion au second plan (jugée faible, inutile, irrationnelle), car ≠ logique du profit et de la rationalité instrumentale.
Les femmes, et plus encore les femmes noires, n’ont pas eu le « luxe » de l’anesthésie émotionnelle -> elles ont dû composer avec des émotions comme ressources de survie. Émotion = mode de connaissance, vecteur de résistance et de subjectivation politique.
Poésie = acte politique car elle réhabilite la valeur des émotions et ouvre un horizon d’action.
Ce que l’ordre dominant classe comme « irrationnel » (colère, peur, amour, intuition) peut devenir énergie de résistance et d’invention collective.
Concept central -> imagination politique = condition de la liberté.
Imaginer est une nécessité politique : sans nouveaux récits et représentations, aucune transformation sociale n’est possible.
Exemple anthropologique : société Fon du Dahomey (Afrique de l’Ouest) -> existence de formes de mariages entre femmes, système matrilinéaire, permettant la protection et la transmission des ressources par et pour les femmes.
Lorde mobilise ce type d’exemples pour rappeler l’historicité et la diversité des formes sociales, contre la naturalisation patriarcale.
Concept de « norme mythique » -> construction idéologique qui valorise certaines identités (homme, blanc, hétérosexuel, valide, classe moyenne/supérieure) comme universelles et invisibilise/délégitime les autres.
Lorde invite à descendre en soi pour affronter la peur et le dégoût des différences intériorisés, et reconnaître leur poids dans nos choix politiques et personnels.
Paulo Freire, Pédagogie des opprimés -> condition d’un changement révolutionnaire = identifier non seulement les structures d’oppression, mais aussi la part d’oppresseur intériorisée en nous, qui reproduit ses logiques de domination.
Formule clé -> « Les outils du maître ne détruiront jamais la maison du maître » = les stratégies et modes de pensée issus du système oppressif ne peuvent suffire à le renverser. Nécessité de créer d’autres épistémologies et d’autres pratiques.
Solidarité féministe = principe d’interdépendance radicale : « Je ne suis pas libre tant qu’une seule femme reste prisonnière, même si ses chaînes sont différentes des miennes. » Universalité du lien entre oppressions -> condition de la lutte collective.
Affect et action -> la culpabilité paralyse, car elle enferme dans la honte individuelle ; la colère mobilise, ouvre vers l’action collective et produit de l’énergie politique.
Rejet du mythe de la « femme noire forte » = figure sacrificielle et mystifiée, présentée comme éternellement résiliente, compréhensive et éducatrice des autres.
Lorde rappelle que les femmes noires ont droit à la colère, à l’exigence et à la lutte pour elles-mêmes, au-delà du rôle imposé de care sacrificiel.
note 9
/Voir la Palestine – Stéphanie Baumann
1. Introduction : voir et faire voir comme acte politique
Dans Voir la Palestine, Stéphanie Baumann interroge les formes de visibilité et d’invisibilisation qui structurent la perception du conflit israélo-palestinien.
La lutte palestinienne ne se réduit pas à une confrontation militaire ou territoriale : elle se joue aussi dans le champ du regard, dans la bataille des images, des récits et des représentations.
-> Lutte contre l’invisibilité.
-> Lutte contre la réduction médiatique à des stéréotypes (l’« Arabe masqué », la violence, le terrorisme).
Ce travail s’inscrit dans la lignée des théories postcoloniales d’Édouard Saïd et des analyses de Judith Butler, qui montrent comment les cadres visuels et discursifs occidentaux fabriquent ce qui est perçu comme réel, légitime ou digne d’être vu.
2. Généalogie du conflit : colonialisme et effacement
L’ouvrage rappelle que la création de l’État d’Israël en 1948 s’est accompagnée d’un processus de dépossession et d’effacement systématique du peuple palestinien.
-> Nakba (catastrophe) : déplacement de 750 000 Palestiniens, destruction de 436 villages.
-> Entre 1947 et 1949 : nettoyage ethnique, recomposition démographique, appropriation des terres.
La citation de Gilles Deleuze – « Les États-Unis et l’Europe devaient des réparations aux juifs et les ont fait payer par un peuple qui n’y était pour rien » – souligne la dimension géopolitique de cette injustice fondatrice.
Ce processus colonial s’accompagne d’une entreprise symbolique : effacement des traces, réécriture de la mémoire, greenwashing écologique (reboisements israéliens sur les ruines des villages). Israël se présente comme « la seule démocratie du Moyen-Orient », alors que, selon Baumann, « l’ethnicité, et non la citoyenneté, est le principal déterminant des droits, du pouvoir et des ressources ».
3. De la résistance armée à la résistance visuelle
Dans les années 1960-1970, la résistance palestinienne s’inscrit dans un réseau internationaliste : les luttes contre l’impérialisme, le colonialisme et l’apartheid reconnaissent dans la Palestine un miroir de leurs propres combats.
-> L’image devient alors une arme.
-> Le cinéma militant (Abu Ali, Film of Frame) prolonge l’action armée : « l’action par le cinéma est un prolongement de la lutte ».
Le cinéma palestinien, en particulier celui produit dans les camps de réfugiés ou en exil, vise à restituer une histoire effacée : un « peuple à la recherche de sa propre histoire ». Ce geste est éminemment politique : il réaffirme l’existence d’un peuple nié, ce que Deleuze nomme le « peuple qui manque » — c’est-à-dire un peuple dont l’existence même est contestée, et qui doit s’inventer dans et par ses représentations.
4. Orientalismes et cadres de perception
Édouard Saïd, dans L’Orientalisme (1978), a montré comment l’Occident a construit « l’Orient » comme une invention, un miroir inversé de ses propres fantasmes de supériorité. La Palestine, dans les représentations occidentales, est ainsi vidée de ses habitants arabes et réduite à une terre biblique, poétique et romantisée.
-> Absence de la population palestinienne dans les représentations.
-> Dépolitisation de la souffrance, naturalisation du conflit.
Judith Butler (Frames of War, 2009) prolonge cette analyse avec la notion de frame (cadre) : un cadre ne se contente pas de montrer la réalité, il la produit. Les médias occidentaux créent une stratégie de confinement visuel : certains corps deviennent visibles, d’autres invisibles ; certains morts sont dignes de deuil, d’autres non.
-> Le vocabulaire (« terroriste », « colon », « réfugié ») structure la perception morale et politique du conflit.
Le gouvernement israélien contrôle étroitement les archives visuelles des territoires occupés, orientant ainsi la mémoire collective. L’histoire devient, pour reprendre la formule de Baumann, « une science de l’urgence » : un travail de sauvetage de la mémoire avant qu’elle ne soit effacée.
5. Politiser le regard : cinéma, art et résistance du quotidien
Le cinéma et l’art contemporain palestiniens s’inscrivent dans une esthétique de la résistance. Ils rendent visible ce que l’occupation tend à rendre illisible.
-> Via Dolorosa (Oraib Toukan) : explore l’idée d’une autonomie existentielle palestinienne malgré l’occupation.
Oraib Toukan, Via Dolorosa, 2021. Image study in a single-channel video (color, sound). Courtesy the artist
Oraib Toukan – KW Institute for Contemporary Art
-> Foragers (Jumana Manna) : montre comment Israël criminalise les pratiques traditionnelles de cueillette de plantes sauvages, au nom de la « protection de la nature », tout en détruisant les écosystèmes locaux – une forme de colonialisme écologique.
Still from Jumana Manna’s video “Foraging” (2022, at MoMA PS1, shows Palestinians gathering wild akkoub, a vegetable said to taste like artichoke, and za’atar, an herb.
Credit : Jumana Manna
In Jumana Manna’s Film, a Wild Plant Crosses the Political Line - The New York Times
Ces œuvres témoignent d’une persistance du sumud – mot arabe signifiant « persévérance inébranlable » – qui symbolise la résistance quotidienne. Politiser le regard, selon Baumann, c’est apprendre à repérer ces gestes de vie, ces pratiques d’attachement à la terre, ces espaces minuscules où s’invente la liberté malgré la domination.
6. Visualiser la Palestine : cartographier la domination
Des initiatives comme Visualizing Palestine prolongent cette résistance en ligne. Par l’infographie, la cartographie et la production visuelle, elles traduisent la complexité du système colonial israélien en données accessibles : fragmentation du territoire, contrôle des mobilités, appropriation de l’eau, inégalités économiques.
-> Le visuel devient un langage politique global.
-> Voir la Palestine = apprendre à lire le monde colonial contemporain.
Conclusion : la visibilité comme terrain de lutte
Voir la Palestine interroge la responsabilité du regard : voir, c’est déjà agir.
Stéphanie Baumann montre que la domination ne se maintient pas seulement par la force militaire, mais aussi par la maîtrise des récits et des images.
Face à cela, la résistance palestinienne invente des contre-regards, des gestes d’autoreprésentation, des pratiques artistiques et quotidiennes de visibilité.
La lutte politique se joue donc à la fois sur le terrain de la terre et sur celui de la perception – dans les images, les récits, les archives et les imaginaires.
-> Politiser le regard = condition d’une solidarité internationale lucide.
-> Voir la Palestine = refuser l’effacement et reconnaître la persistance d’un peuple dans son droit à exister, à raconter, à imaginer.